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TECHNOLOGIE ET INNOVATION: SOMMES-NOUS SUR LA VOIE DE PERDRE LA SECONDE BATAILLE MONDIALE?

L’intégration des pays du BRIC au commerce mondial durant la dernière décade de 2000-2010 a fortement ébranlé les entreprises manufacturières à travers le pays.  Un grand nombre de PME ont perdu des plumes, soit en profitabilité, compétitivité, parts de marché, ou ont tout simplement disparu quand leur industrie a été prise de court par l’éruption de la mondialisation.  En résumé, nous avons essentiellement perdu la première bataille de la mondialisation contre la Chine et l’Inde dans le secteur manufacturier.  Il n’y aura pas de répit : alors que nous tentons aujourd’hui de rattraper le retard de nos exportations dans les pays émergents , nous sommes également confrontés à la seconde bataille de la mondialisation.

La prochaine décennie (2010-2020) verra la montée d’un nouveau défi à la compétitivité de nos entreprises canadiennes : Technologie et Innovation.  L’intensité des innovations technologiques s’est accrue exponentiellement.  Les sommes dédiées mondialement à la recherche et développement (R&D) ont plus que doublé dans les dix dernières années, pour atteindre un total approximatif de US$1.2 trillion par année (Financial Times).  Les trois principaux budgets s’inscrivent aux États-Unis (US$ 400 milliards), en Chine (US$ 154 milliards) et au Japon (US$ 144 milliards).  Au Québec, les budgets de R&D, tous secteurs confondus, atteignent un montant d’environ C$ 10 milliards, une somme certes non négligeable, mais tout de même une goutte dans le seau d’eau.  Ce défi en innovation technologique ne s’exprime pas seulement en dollars de recherche et développement, mais aussi en capital humain.   Selon John Gapper du Financial Times, la Chine inscrit 15% de tous les étudiants universitaires du monde, alors que 40% de ces étudiants chinois obtiennent des degrés en sciences et ingénieries.    Aux États-Unis, cette proportion n’est plus que 15%, alors que 68% des doctorats en ingénierie sont octroyés à des étudiants non américains.  La Chine a confirmé par ailleurs ses ambitions technologiques dans son dernier plan de 5-ans, publié en mars dernier. 

 Cette intensité technologique raccourcit non seulement les espérances de vie commerciale des produits et services,  mais compresse également les cycles de développement.  Peu de secteurs échappent à l’intrusion de la digitalisation, aux avancées des nouveaux matériaux ou à la pénétration de la micro-électronique.  En contrepartie des lancements accélérés de nouveaux produits, il est plus aisé d’organiser une commercialisation mondiale des innovations technologiques, par le biais des accords de libre-échange, des chaînes d’approvisionnement bien huilées, et d’un capital de risque disposé à arbitrager technologies, compétences et coûts sur une base globale.  Ces nouvelles règles favorisent les entreprises d’une certaine taille, ambitieuses et agiles.   Il semble que nous soyons tous prisonniers d’un cycle d’accélération et de pression technologique.  Nous pourrions être témoins d’ un changement de paradigme au cours des dix prochaines années.  Alors qu’est-ce qui nous guette au Canada et au Québec?

Au Canada, nous avons dans les trente dernières années essentiellement fait la promotion de programmes publics en R&D comme axe principal de développement en innovation technologique. Cette politique visait en quelque sorte à renforcer la présence au pays des laboratoires de R&D des multinationales.  Force est de constater que les résultats et les retombées économiques de cette stratégie publique ne se retrouvent pas à la hauteur des attentes, toujours croissantes dans ce nouveau siècle.  De nombreux rapports (Conference Board of Canada, Conseil des Académies Canadiennes) font égard à notre retard en matière d’innovations commercialisées.   Par ailleurs les pays asiatiques ont poursuivi une stratégie d’innovation technologique subtilement différente de la nôtre : ils concentrent et accouplent leurs efforts sur le développement de familles de produits technologiques bien visés, en appui à leurs industries clés.  Il est notable de constater que le Japon et la Corée du Sud ont des cultures en capital de risque peu élaborées pour la bonne raison que ce sont les leaders d’industries qui ont traditionnellement été sommés de développer les nouvelles technologies servant à améliorer tant leurs processus de fabrication que les produits finaux.  Cette approche, disciplinée et ambitieuse, leur a en fin de compte permis de capturer des champs entiers de technologie industrielle et de rester maîtres dans des industries telles que l’électronique, la robotique, les automobiles, les nouveaux matériaux, etc. 

Nous nous retrouvons donc à un carrefour stratégique en politique d’innovation.  Certaines questions méritent d’être examinées si nous voulons éviter d’être laissés pour compte  non seulement par les grands pays, comme la Chine et l’Inde, mais aussi par de plus petits pays très agiles en innovation technologique, comme la Suède et Singapour :

1. Est-ce que nos dollars publics en R&D sont efficaces en transferts technologiques?

2. Est-ce que les centres de R&D des multinationales établis au Québec sont à risque de déménager?

3. Est-ce que nos propres entreprises canadiennes sont suffisamment innovatrices pour être compétitives dans 5-10 ans?

Transferts technologiques

La R&D canadienne est bien reconnue pour sa qualité.   Mais selon les études publiées, l’impact commercial des budgets publics en R&D technologique n’a pas donné les fruits escomptés jusqu’à maintenant.  Les grappes technologiques ont stimulé les découvertes et les inventions, mais notre performance à les transformer en entités commerciales demeure en dessous des attentes confiées au capital de risque canadien.    Nous avons réussi à développer nombre d’objets techniques, mais qui n’ont souvent pas su trouver leurs marchés et clients.   C’est un syndrome courant. Nous souffrons de deux désavantages dans cette compétition publique : Nous n’avons ni la taille de marché pour assurer un ‘scale-up’ rapide de nouveaux produits, et ni les vastes budgets pour capturer notre part de ces découvertes technologiques fondamentales qui donnent naissance à de nouvelles industries.  Notre stratégie de niche se retrouve toujours amputée par un écosystème d’innovation et de financement qui n’a pas encore tous les outils en main pour atteindre la maturité et l’échelle nécessaire à une performance constante et crédible.

Laboratoires R&D des multinationales

Le Canada a longtemps été dans le passé un endroit de prédilection pour les multinationales, qui désirait établir un centre de R&D de qualité.  Elles y retrouvaient  un réseau de scientifiques dédiés et très professionnels, enveloppé d’un régime de crédits d’impôt généreux.   Cette offre répondait bien aux cultures de travail des multinationales.  Mais la montée de la Chine et de l’Inde a désormais transformé cette équation.  Depuis dix années, les multinationales n’ont pas cessé de relocaliser bon nombre d’activités de leurs chaînes de valeur à ces pays, notamment en production.  Aujourd’hui ces multinationales se battent vigoureusement pour remporter les gros contrats dans ces pays et un investissement local en R&D devient une condition sine qua nom des appels d’offres.  Le transfert des centres de recherche vers l’Asie est déjà bien avancé.  Nous sommes témoin de la mise en place d’une nouvelle géographie de l’innovation technologique, menée par les budgets R&D, le talent scientifique, une fiscalité avantageuse et l’entreprenariat.  Par exemple, Huawei, un fabricant chinois d’équipement en télécommunication, n’hésite pas à souligner que ses ingénieurs chinois en R&D coûtent 40% moins cher qu’en occident, et qu’ils travaillent 40% plus d’heures.    Le Canada, pays de petit marché, aura besoin de tout son petit change pour  limiter l’érosion de sa position comme  centre de laboratoires étrangers en R&D.  Devant une performance moyenne en R&D publique, et un parc de laboratoires privés en contraction, est-ce que nos entreprises canadiennes sont prêtes à prendre la relève?

Entreprises canadiennes

L’épine dorsale de l’économie canadienne demeure la PME, typiquement équipée de 10 à 20 employés.   Autrefois les petites PME pouvaient très bien se débrouiller dans des économies régionales, supportées par un marché américain d’accès relativement facile.  Aujourd’hui, cette petite taille nous joue des tours : il est de plus en plus nécessaire d’investir dans des technologies de pointe ou de les développer pour demeurer en affaires et prospérer.   Les entreprises qui prennent du retard ont par la suite de la difficulté à protéger leurs marchés de niche, ou même à contempler une expansion hors de la zone traditionnelle de l’ALENA.  Elles peinent à suivre la cadence mondiale et sont souvent à court des ressources financières pour revirer la situation.  L’innovation technologique appelle les dirigeants, toute taille d’entreprise, à tendre un pied hors de leur zone de confort traditionnelle.   Bien que nous ayons plusieurs exemples d’entreprises qui ont su développer une prédisposition à innover, l’ensemble du parc canadien des PME se compare mal à d’autres pays, selon le Conseil des Académies Canadiennes. Celui-ci nous mettait en garde dans un rapport publié en avril 2009 (Innovation and Business Strategy : Why Canada falls short), que notre retard était sérieux.

Nous avons tous l’impression que le Canada est un pays technologique, et qu’il a dans ses mains plus que le temps nécessaire pour rajuster ses stratégies nationales et encourager nos PME à innover.  Cependant, l’échiquier de l’innovation technologique est en bouleversement et les champions émergents des pays du BRIC nous enseignent que la deuxième bataille mondiale est bien déjà amorcée.  Serons-nous sur la bonne voie en 2015-20?  

André Du Sault.

Chronique au bulletin de l’Association des MBA du Québec.

Posted in Innovation & organisation, Strategy & globalisation.

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